Edito complet :

Alors que le Medef s’est dit prêt à discuter de hausses d’impôts pour les entreprises, le président de l’Institut Sapiens estime qu’une nouvelle augmentation de la pression fiscale accablerait les forces productives et entrepreneuriales du pays.

Il faut imaginer l’accablement de Cassandre qui, après avoir prédit ce qui allait se passer sans jamais être crue, voit l’inéluctable se produire. Voici venu le moment des hausses d’impôts que l’on prévoyait depuis longtemps, sans les souhaiter bien sûr. C’en est fini des promesses répétées des dirigeants de l’ex-majorité affirmant que le levier fiscal ne serait plus mobilisé.

La France est prévisible comme un scénario de cette série des années 1980, l’Agence tous risques, où chaque épisode enchaînait rigoureusement les mêmes séquences. Tout est écrit par avance : impasse budgétaire, coups de menton de nos responsables appelant à un effort national, promesses le cœur sur la main d’enfin couper dans les dépenses sans pitié, et finalement seulement un peu plus de prédation fiscale sur le public captif des contribuables car on n’a rien coupé du tout.

Emmanuel Macron a déclaré que La France n’avait pas un problème de dépenses mais de recettes. Rien n’est plus faux. On connaît la phrase de l’économiste Robert Solow soulignant le paradoxe de l’absence de gain de productivité visible avec l’arrivée de l’informatique : « On peut voir les ordinateurs partout sauf dons les statistiques de productivité. » Nous vivons une autre sorte de ce paradoxe : on peut voir l’abandon des services publics par l’État partout, sauf dans les chiffres du budget !

Nous pouvons certes avoir l’impression d’un délitement des services publics, d’un appauvrissement général de l’État qui ne fournit plus la qualité de services qu’il assurait hier. Et ce n’est pas qu’une impression. Oui, les urgences sont encombrées, les performances de l’école, en chute libre et l’attractivité des métiers publics, nulle. Mais La faute ne peut pas en être le manque de moyens. Beaucoup déplorent une coupable « casse des services publics » dont la cause serait des cadeaux aux riches et aux entreprises. Ce n’est pas ce que disent les chiffres.

Nos dépenses publiques sont autour de leur record historique à 57% du PIB. Nos prélèvements obligatoires tutoient aussi les sommets à 45% environ. La quasi-totalité des impôts est sur une pente ascendante de long terme. Les recettes de l’impôt sur les successions et donations ont par exemple augmenté en France de 50% en euros constants entre 2009 et 2016. La France est le pays européen où la taxation sur le salaire complet est la plus haute (54% en moyenne, contre 44% en Espagne ou 33% en Grande-Bretagne). Accusera-t-on les riches de ne pas paver leur part ? Le taux de taxation des hauts revenus est déjà le plus haut des pays du G7 (dépassé seulement de très peu sur les dividendes par le Canada). 10% des redevables de l’impôt sur le revenu assurent 75%, des recettes. Quant aux entreprises françaises, leur taux d’imposition effectif moyen était encore en 2021 le plus élevé d’Europe (30,3% contre 20,1%) : relever encore l’impôt sur les sociétés nous ferait à nouveau toucher le fond du classement.

Dans le mème temps, les vannes des dépenses restent grandes ouvertes. Les prestations sociales représentent désormais dix points de PIB en plus qu’il y a cinquante ans. C’est le plus gros morceau. Mais la bureaucratie y a aussi sa part, alors que la population de la France n’augmentait que de 13% entre 1996 et 2021, la fonction publique territoriale augmentait de 44% et la fonction publique hospitalière de 35%.

Même chose si l’on se compare aux autres pays développés : la France dépense nettement plus en moyenne pour la vieillesse, la santé, la protection sociale en général et l’éducation que la moyenne de l’OCDE. Souvenons-nous que les baisses d’impôt d’Emmanuel Macron ont juste été un retour en arrière après le choc fiscal sous Hollande qui avait provoqué le ras-le-bol correspondant. Dans certains cas d’ailleurs, la baisse du taux, comme avec le prélèvement forfaitaire unique sur les dividendes, a même entraîné une augmentation des recettes (le fameux effet Laffer) ! L’appel à « plus de moyens » n’est pas qu’une paresse intellectuelle défiée par les chiffres. La casse des services publics est un mal auto-infligé par notre refus de regarder ses gâchis en face.

Sur le papier, et dans les avis d’imposition, l’État est toujours bien présent. Aucun abandon à l’horizon. Nous avons un problème d’allocation de moyens et d’organisation. Le Moloch étatique dévore une quantité toujours plus grande de ressources, mais les affecte mal. On peut être obèse et anémié en même temps. Suradministrée, la France est sous-gérée.

Outre le grave déséquilibre de notre système de retraite pour des raisons démographiques qui pèse de plus en plus sur nos comptes publics, nous souffrons de l’éparpillement de l’État. Trop présent où il n’est pas utile, il rate notamment ses missions régaliennes de justice et de sécurité. La bureaucratie nous tue. Dans nos hôpitaux, le taux de personnel autre que médical, c’est-à-dire l’administration, est de 9 points supérieur à celui de l’Allemagne.

Les actions inutiles ne sont pas seulement dramatiques parce qu’elles ne servent à rien, elles le sont surtout parce qu’elles captent des moyens qui manquent ailleurs. Nous dépensons moitié moins que la moyenne de l’OCDE en recherche fondamentale (0,3 contre 0,6% du PIB), et c’est encore dans la recherche que le budget 2025 se prépare apparemment à sabrer.

Nous avons un problème de dépenses et non de recettes. Depuis toujours, on ne fait pas les efforts là où ils sont le plus nécessaires et les moins nuisibles, mais à où ils sont le plus facile à faire. Comme nous restons dans le déni, nous dévorons le futur pour nous payer le présent, en accablant sans cesse de plus d’impôt les forces productives et entrepreneuriales de ce pays. Nous vendons notre croissance de demain pour acheter notre lâcheté réformatrice d’aujourd’hui.

Tout se passe comme si le critère des décisions n’était jamais l’efficacité, mais la facilité. Ce qui manque, ce ne sont pas les moyens, mais le courage. Paraphrasons la fin du Mariage de Figaro de Beaumarchais : « Or, Messieurs la comédie / Que l’on juge en cet instant, / Sauf erreur, nous peint la vie / Du bon peuple qui l’entend. / Qu’on l’opprime, il peste, il crie, / Il s’agite en cent façons, Tout finit par des impôts. »