• Camus (il, lui)
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    81 year ago

    Dans une proposition de loi, la Commission européenne projette de déréguler les NGT. Ces OGM nouvelle génération seront largement exemptés des règles d’autorisation, de traçabilité, d’étiquetage et de surveillance imposées à leurs homologues historiques. La Commission européenne a dévoilé mercredi 5 juillet une proposition de révision de la directive en vigueur sur les OGM. Cette dernière date de 2001 et elle est stricte. L’idée est d’assouplir les règles pour permettre à l’Union européenne de se lancer dans la course technologique aux « nouveaux OGM ». Ces derniers répondent à un acronyme nouveau : NGT pour « nouvelles techniques génomiques ». Et pour la Commission européenne, ils doivent largement échapper aux règles d’autorisation, d’étiquetage, de traçabilité et de surveillance imposées aux OGM de base. Ces organismes génétiquement modifiés par les techniques les plus récentes sont « sûrs », est-il écrit dans le projet de texte consulté par Mediapart. Pas besoin de les lester de « fardeaux réglementaires inutiles ». Surtout, l’Union européenne ne veut pas être « exclue des développements technologiques et avantages économiques, sociaux et environnementaux potentiellement générés par ces nouvelles technologies ».

    Un champ de blé en culture intensive, en Picardie. © Photo Michel BureauI / Biosphoto via AFP

    Historiquement, les OGM sont fabriqués par transgenèse. Le principe est d’ajouter un ou plusieurs gènes d’une autre espèce dans le génome d’une plante afin d’en modifier les caractéristiques. C’est le cas, par exemple, du maïs MON810, la vedette de la multinationale Monsanto – rachetée depuis par Bayer. Ce maïs transgénique, cultivé en Europe, est né de l’ajout d’un gène issu d’une bactérie permettant à la plante de produire un insecticide. Ces OGM-là ont défrayé la chronique dans les années 1990-2000, celles des faucheurs d’OGM, avant de se propager à travers le monde jusqu’à atteindre 10 % de la surface agricole globale. Le génie génétique continue son expansion sous cet autre nom de NGT en racontant toujours la même histoire : modifier les gènes des plantes pour mieux les adapter aux besoins humains. Avec les NGT, on ne parle plus de transgenèse mais de cisgenèse, d’agro-infiltration et surtout de mutagenèse dirigée – la technique la plus répandue. Le principe cette fois est de « couper » certains gènes de la plante afin de modifier une séquence ADN précise. Une modification au potentiel dystopique permise par la technique CRISPR-Cas9, dite des « ciseaux moléculaires », découverte par les Prix Nobel de chimie 2020, la Française Emmanuelle Charpentier et l’Américaine Jennifer Doudna. L’arrivée de ces méthodes ultra-pointues de manipulation de la génétique des plantes introduit des nuances relativement opaques. « Contrairement à la transgenèse, ces techniques n’impliquent pas nécessairement l’ajout de gènes entiers issus d’autres espèces dans l’organisme final, explique le ministère français de la transition écologique. En revanche, les différentes étapes de génie génétique menées pour obtenir ces organismes peuvent impliquer de recourir à de la transgenèse, même si aucun gène extérieur n’est censé être présent dans l’organisme final (hors effets indésirables). » Au-delà de ces explications alambiquées, une réponse claire a été apportée en 2018 par la Cour de justice de l’Union européenne : oui, les NGT sont bien des OGM. Dont acte pour la Commission européenne qui a alors lancé un projet de dérégulation. Des OGM contre la crise climatique qui n’existent pas La dérégulation concerne avant tout les « NGT 1 » – des organismes qui ont subi « moins de 20 modifications génétiques » et dont les caractéristiques, selon la Commission européenne, auraient pu apparaître naturellement en raison de la sélection naturelle ou agricole. Pour les NGT 1, il suffira d’effectuer un enregistrement sur une base d’information publique pour les cultiver en Europe. Sur l’étiquette du consommateur, aucune mention ne permettra de savoir qu’un OGM finit dans son assiette. La même souplesse sera accordée au NGT « durable », par exemple les variétés de plantes OGM résistantes à la sécheresse, aux conditions extrêmes et à même d’affronter le dérèglement climatique et environnemental. « Des variétés qui n’existent pas aujourd’hui », rappelle l’eurodéputé écologiste français, Benoît Biteau. Sur son site, la Commission européenne cite deux exemples de NGT commercialisées à travers le monde, et les perspectives ne font pas trembler d’espoir : « Par exemple des feuilles de moutarde moins amères sont disponibles sur le marché des États-Unis et le seront bientôt sur celui du Canada. Des bananes qui ne noircissent pas et pourraient réduire considérablement le gaspillage alimentaire et les émissions de CO2 ont été approuvées aux Philippines. » Dans tous les cas de figure, précise Bruxelles, les NGT seront interdites en agriculture biologique, laquelle aura bien du mal à lutter contre leur dissémination dans ses champs. Les NGT sont-elles dangereuses ? Difficile de le dire en l’absence de recul nécessaire. C’est notamment la conclusion du Conseil économique social et environnemental français (CESE) dans un avis publié en mai : « La connaissance des impacts sanitaires et environnementaux de ces technologies mérite d’être approfondie. » En attendant, il recommande « une évaluation systématique des produits NGT, à la fois a priori sur les risques sanitaires et environnementaux et a posteriori par des réseaux de biovigilance et de sociovigilance ». Ce qui n’est pas le cas dans la proposition de la Commission européenne. « Tant que l’innocuité de ces produits n’est pas démontrée avant leur mise sur le marché et leur consommation, nous estimons qu’il est irresponsable de faire une entorse au principe de précaution », dénonce l’ONG Greenpeace. Selon les résultats d’une autre étude commandée à des scientifiques par le groupe européen Les Verts/ALE sur l’impact de la déréglementation des OGM dans d’autres pays : « L’introduction de ces technologies a toujours exacerbé et verrouillé l’agriculture dans la voie industrielle et non durable. » Elle coïncide dans ces États pro-OGM avec une concentration des exploitations agricoles, un déclin de la biodiversité, des impacts négatifs pour les entreprises et les consommateurs des secteurs bio et non OGM, et « une plus grande dépendance de l’agriculture vis-à-vis d’intrants externes contrôlés par un petit nombre de sociétés multinationales ». À lire aussi« Pacte vert » : la droite européenne panique à l’idée de perdre le vote agricole La proposition de la Commission a entamé, ce mercredi, son parcours législatif au sein des complexes institutions européennes, avant son adoption par les eurodeputé·es à une date qui n’est pas encore connue. Politiquement, elle part sur de bons rails. Alors que la droite, l’extrême droite et une partie des libéraux organisent une bronca véhémente contre le « Pacte vert » et bloquent toutes avancées écologiques, la dérégulation des OGM a des allures de concession. Un « en même temps » prôné par Pascal Canfin, le macroniste à la tête de la commission environnement du Parlement européen. « Je défends à la fois les solutions basées sur la nature et sur la technologie », expose-t-il. Concernant la nature, l’eurodéputé défend notamment un texte sur la « restauration de la nature », avec l’introduction de haies et autres aménagements en faveur de la biodiversité dans 10 % des terres agricoles européennes. Pour l’instant, toutes les commissions parlementaires qui ont examiné ce texte ont dit non, même la sienne réputée comme la plus progressiste sur les questions environnementales. « Clairement, on est dans une négociation de marchand de tapis, dénonce Benoît Biteau. Et, à la fin, on va perdre sur tous les fronts. »