Plus personne ne peut nier dĂ©sormais la dĂ©rive illibĂ©rale des pouvoirs publics actuels. Entre politiques migratoires racistes, pratiques autoritaires, et affaiblissement des contre-pouvoirs, la fameuse rhĂ©torique du « en mĂȘme temps » apparaĂźt finalement comme un moyen de cacher la dĂ©rive inexorable du PrĂ©sident vers lâextrĂȘme-droite.
Qui aurait pu prĂ©voir en 2017 oĂč nous en serions sept ans plus tard, au cours du second quinquennat Macron ? Ce dernier sâĂ©tait fait Ă©lire sur la prĂ©tention de remiser lâordre politique antĂ©rieur â les vieux partis de droite et de gauche au nom du « en mĂȘme temps » â, de refonder la dĂ©mocratie, de redonner de lâallant Ă la sociĂ©tĂ© française, de lâouvrir Ă une modernitĂ© rĂ©affirmĂ©e avec un prĂ©sident jeune et intelligent, ami du philosophe Paul Ricoeur. LâĂ©cologie nâĂ©tait guĂšre prĂ©sente dans les bagages de campagne de 2017, mais la nomination de Nicolas Hulot, puis la promesse dâun « second quinquennat Ă©cologique » figuraient comme autant de gages.
Ă lâarrivĂ©e câest, au lieu du « ni droite ni gauche », un illibĂ©ralisme dĂ©complexĂ©Â et lâassomption des thĂšses de lâextrĂȘme-droite sur lâimmigration. En fait de refondation des institutions et de la dĂ©mocratie, nous avons assistĂ© Ă un exercice du pouvoir solitaire et autoritaire, qui a vidĂ© de son sens une expĂ©rience pourtant intĂ©ressante comme la Convention citoyenne sur le climat.
La nomination dâun Premier ministre jeune et inexpĂ©rimentĂ©, qui lui doit tout, Gabriel Attal, pas mĂȘme adoubĂ© par lâAssemblĂ©e nationale, et dont le seul titre de gloire est lâinterdiction de lâabaya (waouh !), ne risque guĂšre de changer la donne. Plus gĂ©nĂ©ralement, lâexercice macronien du pouvoir dĂ©bouche sur une usure et une dĂ©lĂ©gitimation des institutions de la Ve RĂ©publique ; et sur une sociĂ©tĂ© française bloquĂ©e, divisĂ©e en trois groupes : extrĂȘme-droite, centre et gauche[1], les uns et les autres dĂ©calĂ©s par rapport Ă leurs passĂ©s et orientations traditionnelles. Quant Ă lâami de Ricoeur, il sâest muĂ© en ami de Benalla, avec un tropisme de plus en plus marquĂ© pour la figure dâOSS 117[2].
Du cĂŽtĂ© de lâĂ©cologie, les promesses se sont volatilisĂ©es avec la dĂ©mission dâHulot, dĂ©goĂ»tĂ©, puis elles ont Ă©tĂ© gazĂ©es avec les SoulĂšvements de la Terre et les scientifiques explicitant les raisons documentĂ©es de sâopposer Ă lâA69. Seule consolation, nous ne sommes pas en guerre aux cĂŽtĂ©s de la Russie de Poutine contre lâEurope, le chĂŽmage a Ă©tĂ© rĂ©duit, mais le dĂ©ficit du commerce extĂ©rieur a atteint les mĂȘmes sommets que ceux de la dette nationale. Une leçon des tĂ©nĂšbres jusquâalors inĂ©galĂ©e pour un prĂ©sident de la RĂ©publique, exceptĂ© peut-ĂȘtre la figure de Paul Deschanel, au demeurant par trop dĂ©criĂ©e. Que sâest-il passĂ© ces derniĂšres annĂ©es ?
Un diagnostic dĂ©sormais partagĂ© : lâinstallation dâun rĂ©gime illibĂ©ral, indirectement soutenu par nombre de formations politiques
Les tribunes dĂ©nonçant lâillibĂ©ralisme du rĂ©gime actuel se sont multipliĂ©es, la chose est dĂ©sormais entendue par une partie au moins de lâopinion, mĂȘme si nombre de mĂ©dia feignent lâordinaire. La France de Macron nâest pas encore la Hongrie dâOrban, la Pologne du Pis ou la Russie de Poutine, mais elle sây emploie avec un fonds dâopinions favorables. Quâest-ce que lâillibĂ©ralisme ? Il consiste Ă disjoindre les mĂ©canismes Ă©lectifs du contexte gĂ©nĂ©ral constitutif des dĂ©mocraties libĂ©rales : un encadrement constitutionnel et juridique de lâexercice du pouvoir au nom des droits fondamentaux, conçus quant Ă eux pour Ă©chapper Ă lâarbitraire gouvernemental ou lĂ©gislatif ; Ă quoi sâajoutent quelques conditions sociales gĂ©nĂ©rales sur lesquelles nous reviendrons.
Sans un encadrement constitutionnel et juridique associĂ© Ă lâaffirmation des droits humains fondamentaux, transcendant la loi ordinaire, rien nâempĂȘcherait le pouvoir de la majoritĂ© de sâexercer jusquâĂ la tyrannie. Rien nâempĂȘcherait non plus le pouvoir de tronquer les rĂ©sultats Ă©lectoraux, Ă lâamont en choisissant les candidats autorisĂ©s Ă se prĂ©senter et en interdisant lâexpression de lâopposition politique comme la Russie de Poutine, soit Ă lâaval en cherchant Ă fausser les rĂ©sultats issus des urnes comme a cherchĂ© Ă le faire Trump en exerçant notamment une pression sur les responsables de la certification des rĂ©sultats Ă©lectoraux dans les Ătats du Michigan et de GĂ©orgie, ou encore de Pennsylvanie. Ajoutons que le systĂšme nord-amĂ©ricain des grands Ă©lecteurs est illibĂ©ral, puisquâil permet, comme Trump en 2016, lâaccĂšs au pouvoir exĂ©cutif dâun candidat nâayant pas obtenu la majoritĂ© des suffrages exprimĂ©s.
Ă cet encadrement juridique sâajoutent des conditions gĂ©nĂ©rales fautes desquelles les mĂ©canismes Ă©lectoraux ne sauraient fonctionner correctement. Point dâĂ©lections dignes de ce nom sans un systĂšme Ă©ducatif correct, sans une presse et des moyens dâinformation libres et pluralistes. Pas de dĂ©mocratie non plus sans un encadrement juridique du pouvoir Ă©conomique, sans des syndicats libres permettant la dĂ©fense des droits du monde du travail. Toutes choses qui renvoient Ă ce que Pierre Rosanvallon appelle la contre-dĂ©mocratie, Ă savoir tous les contreforts qui permettent au systĂšme de fonctionner et de tenir[3].
Nous ajouterons Ă ces conditions gĂ©nĂ©rales la rĂ©duction des inĂ©galitĂ©s, condition fondamentale Ă la dĂ©termination Ă©lectorale dâun intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. Si les conditions Ă©conomiques des citoyens sont trop distantes, se crĂ©e alors une classe dâhyper-riches, et dâhyper-pauvres dâailleurs, et il nâest plus en consĂ©quence dâintĂ©rĂȘt partagĂ© et commun possible, dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral[4]. Tel est dâores et dĂ©jĂ le cas quand les milliardaires rĂȘvent dâĂ©chappĂ©e sur Mars, de construire des Ăźles artificielles qui leur soient dĂ©diĂ©es et se rĂ©fugient a minima et effectivement dans des villas-bunkers isolĂ©es et survivalistes. Le systĂšme dâinformation tel quâil existe dĂ©sormais avec sa fragmentation en multiples niches et ses rĂ©seaux sociaux, avec les possibilitĂ©s de manipulations Ă©lectorales massives[5], nâest guĂšre propice non plus Ă la dĂ©mocratie.
Revenons Ă la France dâEmmanuel Macron. Avec les Etats-Unis, câest la seule des dĂ©mocraties occidentales avec un rĂ©gime prĂ©sidentiel, et non primo-ministĂ©riel, et donc avec un chef de lâexĂ©cutif non responsable devant le Parlement. Câest pourquoi la France et les Etats-Unis (de Trump) sont les seules dĂ©mocraties Ă connaĂźtre une dĂ©rive illibĂ©rale sans changement institutionnel prĂ©alable. La Pologne du Pis et la Hongrie dâOrban ont pris des mesures successives afin de rĂ©duire lâĂtat de droit ; le gouvernement de Netanyahou a tentĂ© de le faire en cherchant Ă rĂ©former la Cour suprĂȘme. La rĂ©cente loi immigration a commencĂ© Ă changer la donne, dâautant plus quâelle a ouvert lâespace du pouvoir rĂ©glementaire, ce qui permettra lâadoption de mesures plus sĂ©vĂšres avec lâarrivĂ©e probable du Rassemblement National au pouvoir, sans mĂȘme devoir changer la loi. Un second mandat de Trump ferait quant Ă lui totalement basculer le systĂšme politique amĂ©ricain[6].
OĂč en est-on aujourdâhui en France ? StĂ©phane Foucart met en avant lâadoption de la loi immigration avec lâentrĂ©e en droit français de la prĂ©fĂ©rence nationale (europĂ©enne), et la « dĂ©rive populiste » en matiĂšre dâenvironnement. Il rappelle Ă©galement que cette dĂ©rive est un phĂ©nomĂšne communautaire qui a dĂ©bouchĂ© sur le torpillage de plusieurs textes clĂ© du Pacte Vert europĂ©en. Et de rappeler encore que la mue du gouvernement Macron sâinscrit dans un mouvement plus gĂ©nĂ©ral en France mĂȘme, avec notamment un ancien prĂ©sident de la RĂ©publique, Nicolas Sarkozy, devenu un climato-nĂ©gationniste rĂ©cidiviste, et un prĂ©sident de la rĂ©gion Auvergne-RhĂŽne-Alpes, Laurent Wauquiez, se vantant de refuser la mise en Ćuvre du dispositif lĂ©gal national zĂ©ro artificialisation nette. De façon plus gĂ©nĂ©rale, câest, constate encore Foucart, un arc allant de lâextrĂȘme-droite au centre qui sâenferme dans un dĂ©ni obstinĂ© face aux enjeux climatiques â « Qui aurait pu prĂ©dire la crise climatique ? » â et de biodiversitĂ©. Nous y reviendrons.
Le juriste Paul Cassia[7] pointe quant Ă lui la pratique macroniste de lâexercice du pouvoir avec notamment le recours Ă des « dispositions constitutionnelles et de procĂ©dure parlementaire inĂ©dites ou peu utilisĂ©es » afin de faire adopter le passage Ă 64 ans de lâĂąge lĂ©gal de dĂ©part en retraite ou la loi sur lâimmigration. Dans les deux cas, câest lâessence mĂȘme de la dĂ©mocratie parlementaire â Ă savoir le dĂ©bat contradictoire sur le fond dâun sujet et les consĂ©quences de lâadoption ou non dâun texte â, qui a Ă©tĂ© contournĂ©. Et dâĂ©voquer la sĂ©quence suivante, en cas de retoquage par le Conseil constitutionnel : la critique du « gouvernement des juges ». Il rappelle alors les propos du ministre de lâIntĂ©rieur claironnant quâil nâa cure de la Cour europĂ©enne des droits de lâhomme et du Conseil dâĂtat. A quoi sâajoute le recours Ă la Cour de justice pour juger le Garde des Sceaux, laquelle lâa en quelque sorte disculpĂ© tout en reconnaissant sa fauteâŠ, et les restrictions rĂ©currentes du droit de manifester, quâil sâagisse de questions Ă©cologiques ou de dĂ©fense des populations palestiniennes.
Reprenons ici les cinq points que nous avions mis en lumiĂšre en juillet 2023[8]. Le premier concerne la rĂ©forme des retraites et renvoie Ă lâusage de procĂ©dures particuliĂšres pointĂ© par Paul Cassia. Ici ce nâest donc pas du fond, comme pour la loi immigration dont il sâagit en premier lieu, mais de la maniĂšre. Lâimposition au forceps dâune rĂ©forme massivement rejetĂ©e par lâopinion comme par les corps intermĂ©diaires, piĂ©tinĂ©s au passage, nâest pas chose Ă©vidente en dĂ©mocratie ; un rejet qui sâest manifestĂ© tout au long du dĂ©bat public. La dĂ©mocratie nâest-elle pas traditionnellement dĂ©finie comme le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », selon la formule de Lincoln ?
Ont confortĂ© cette entorse majeure toutes sortes dâaccrocs Ă lâesprit des institutions : cette rĂ©forme a Ă©tĂ© mal ficelĂ©e, mal dĂ©fendue, avec des mensonges sur les montants de certaines pensions, des dĂ©cisions arbitraires sur les clauses de pĂ©nibilitĂ©, etc. Tout sâest passĂ© comme si le jugement de la nation importait peu aux yeux des pouvoirs publics. Autre accroc majeur, le recours Ă une loi de finance rectificative, destinĂ©e par dĂ©finition Ă lâannĂ©e en cours, peu appropriĂ©e au sujet du report structurel de lâĂąge lĂ©gal du dĂ©part en retraite, mais autorisant le recours au 49.3. Le but de la manĆuvre Ă©tait de contourner la composition dâune majoritĂ©Â ad hoc par un gouvernement minoritaire. Que le Conseil constitutionnel, tout en dĂ©nonçant les Ă©carts Ă la norme, nâait pas juger fondĂ© de rejeter la loi, ne laisse pas dâinterroger[9].
Le second point renvoie aux menaces de suppression des financements publics de la LDH. Rappelons quâil nâest pas de dĂ©mocratie sans contre-pouvoirs. La tĂąche de la LDH nâest pas de soutenir le gouvernement, mais de dĂ©noncer des manquements au respect des droits fondamentaux. Le gouvernement nâest pas lâĂtat, au sens le plus large possible, lequel inclut le droit, et en lâoccurrence la part du droit qui excĂšde mĂȘme le pouvoir strictement majoritaire du souverain, Ă savoir les droits humains fondamentaux, faute du respect desquels une majoritĂ© devient tyrannique.
Ăvoquons en guise de troisiĂšme point la tentative de dissolution des SoulĂšvements de la Terre. Ă celles et ceux qui sâoffusquent de la violence rĂ©elle ou prĂ©sumĂ©e dâactions de certains Ă©cologistes, je rĂ©pondrai que des agriculteurs de la FNSEA recourent depuis des lustres Ă la violence contre les biens publics (encore en janvier 2023 avec une explosion contre un Ă©difice public Ă Carcassonne) et les personnes, avec des suites judiciaires gĂ©nĂ©ralement trĂšs faibles[10]. Cette organisation a-t-elle Ă©tĂ© dissoute ?
Sur le fond, il revient Ă la justice dâĂ©clairer de façon contradictoire certaines actions, de dĂ©partager les responsabilitĂ©s et le cas Ă©chĂ©ant de sanctionner pĂ©nalement les auteurs et autrices de violences effectives. Mais dissoudre globalement un mouvement qui rassemble de multiples organisations, arrĂȘter des activistes, Ă©voquer publiquement lâ« écoterrorisme »â expression en lâoccurrence sans fondement alors que dissuader de manifester est une premiĂšre forme de terreur â sont autant dâentraves Ă la libertĂ© constitutionnelle de manifester et autant dâintimidations.
QuatriĂšme point, le retrait de son agrĂ©ment Ă lâONG Anticor, et le maintien de ce retrait ; la justice administrative ne sâest toutefois pas encore prononcĂ©e Ă ce sujet. Le mĂȘme raisonnement que celui formulĂ© pour la LDH peut ĂȘtre reportĂ© ici. Câest Ă nouveau un contre-pouvoir que le pouvoir sâacharne Ă dĂ©truire. La vocation de cette organisation nâest pas non plus le soutien Ă tel ou tel gouvernement, mais la lutte contre la corruption au sein des institutions publiques. LâagrĂ©ment est ici refusĂ© Ă Anticor non parce que cette association fait mal son travail, mais parce quâelle le fait trop bien, notamment Ă lâencontre de ministres en exercice.
CinquiĂšme point, lâĂ©vocation un temps dâun troisiĂšme mandat prĂ©sidentiel suggĂ©rĂ© par Richard Ferrand, et repris par dâautres personnalitĂ©s. La limite au nombre de mandats â une des caractĂ©ristiques essentielles Ă une dĂ©mocratie â interdit lâidentification de celles et de ceux qui exercent des fonctions Ă leurs fonctions, comme au sein des royautĂ©s et des dictatures. Il sâagit du fameux « lieu vide » par lequel Claude Lefort dĂ©finissait la dĂ©mocratie[11]. Câest la limitation au nombre possible de mandats qui interdit prĂ©cisĂ©ment Ă un prĂ©sident de sâidentifier Ă sa fonction, et partant de devenir une maniĂšre de roi. Peu importe ici le caractĂšre irrĂ©aliste de cette proposition, compte tenu de la rĂšgle des deux tiers au CongrĂšs pour une rĂ©forme constitutionnelle. Elle exprime la mentalitĂ© et les dispositions dâesprit des Ă©lites dirigeantes.
Impossible de nier dĂ©sormais la dĂ©rive illibĂ©rale des actuels pouvoirs publics. Lâadoption de la loi immigration, qui plus est Ă lâissue dâune procĂ©dure orthogonale, marque lâĂ©tape suivante : la dĂ©construction du droit positif avec lâintroduction de mesures dont lâactuel gouvernement reconnait dâailleurs â un comble â lâanti-constitutionnalitĂ©Â ! Convient-il de rappeler que le prĂ©sident de la RĂ©publique est le premier garant de la Constitution ? Notons encore que le 20 dĂ©cembre dernier le Parlement europĂ©en et les Ătats membres se sont entendus sur un resserrement de la politique dâasile et dâimmigration de lâEurope sans sâen prendre aux traitĂ©s internationaux, ni aux droits fondamentaux.
Le dĂ©sastre Ă©cologique : agriculture et biodiversitĂ©, pĂȘche, droit, climat, rĂ©pression
Il ne sâagit pas ici de faire un bilan dĂ©taillĂ©, mais seulement de rappeler les grandes lignes de la politique environnementale du gouvernement. Il ne sâagit pas non plus dâaffirmer que ce gouvernement ne fasse rien, ce que les engagements internationaux et europĂ©ens de la France, et les dispositifs lĂ©gislatifs antĂ©rieurs, interdisent. Non, de maniĂšre ramassĂ©e lâaction des pouvoirs publics relĂšve du minimum syndical et nâest nullement Ă la hauteur des informations scientifiques croissantes dont nous disposons.
Commençons par le climat. Les Ă©missions de gaz Ă effet de serre françaises â les Ă©missions directes, non importĂ©es, et hors puits de carbone â ont baissĂ©e de 4,6% durant les 9 premiers mois de lâannĂ©e 2023 par rapport Ă la pĂ©riode correspondante de 2022[12]. Elles avaient Ă©galement baissĂ© en 2022. Nous devrions atteindre les 5 % annuels conformĂ©ment Ă notre engagement europĂ©en. Cela est aussi dĂ» Ă la clĂ©mence des tempĂ©ratures hivernales. En revanche, ni lâaction, ni le discours ne sont au diapason de lâĂ©volution rapide de la situation Ă©cologique. OĂč sont les mesures dâadaptation alors que le climat change rapidement sous nos yeux et changera plus encore ? Le gouvernement rendra toutefois son plan en la matiĂšre dans quelques mois ; que dâannĂ©es perdues.
La dĂ©fense des mĂ©gabassines et plus gĂ©nĂ©ralement la politique de lâeau en France ne sont pas du meilleur augure, alors mĂȘme que nous nous dirigeons irrĂ©mĂ©diablement pour la et les prochaines dĂ©cennies vers des tensions croissantes en matiĂšre de disponibilitĂ© de lâeau douce. Que lâon songe ne serait-ce quâaux PyrĂ©nĂ©es orientales, ou aux communes du massif du Jura dâores et dĂ©jĂ alimentĂ©es par citernes lâĂ©tĂ©. Rappelons que 2023 est lâannĂ©e la plus chaude jamais enregistrĂ©e, 1,5 degrĂ©s de tempĂ©rature moyenne globale (entre 1,48 selon Copernicus et 1,54 degrĂ©s Celsius selon le Berkeley Earthâs 2023 Global Temperature Report), avec une montĂ©e impressionnante des tempĂ©ratures moyennes ces derniers mois et un rĂ©chauffement inouĂŻ de la tempĂ©rature de surface des ocĂ©ans Ă compter de la fin avril (0,25 degrĂ© contre 0,5 degrĂ© durant les quarante annĂ©es prĂ©cĂ©dentes). EspĂ©rons quâil ne sâagira pas des premiers indices dâun emballement ?
En termes de climat, nous avons dâores et dĂ©jĂ basculĂ© dans un nouveau rĂ©gime dont les consĂ©quences se feront de plus en plus sentir[13]. Compte tenu des actuelles trajectoires mondiales dâĂ©missions, nous nâĂ©chapperons pas Ă des annĂ©es Ă 2 degrĂ©s dĂšs la dĂ©cennie 2040, alors que la violence des Ă©vĂ©nements extrĂȘmes doublera entre 1,5 et 2°. OĂč sont les politiques dâaccĂ©lĂ©ration de la rĂ©duction de nos Ă©missions ? Au lieu de quoi le prĂ©sident soutient le projet de pipeline chauffĂ© Eacop depuis le lac Albert en Ouganda de TotalEnergies, affuble avec son ministre de lâIntĂ©rieur les activistes du titre de « terroristes », fragilise les associations par les contrats dâengagement rĂ©publicains[14], dĂ©fend les mĂ©gabassines mĂȘme quand elles sont condamnĂ©es par la justice administrative, etc. DĂ©ni pitoyable dâune rĂ©alitĂ© se mouvant dangereusement, et qui ne manquera de mettre de plus en plus en danger la population.
La situation nâest guĂšre plus mirobolante sur le front de la biodiversitĂ©. Ce qui filtre de lâadaptation par la France de lâengagement Ă protĂ©ger 30% du territoire, Ă la suite de la COP15 BiodiversitĂ© de MontrĂ©al, nâest guĂšre encourageant. Tout est fait en effet pour rĂ©duire la portĂ©e de cet engagement et celui analogue et antĂ©rieur portĂ© par la Loi Climat française du 12 octobre 2021. Câest 30 % des territoires terrestres et maritimes qui sont censĂ©s devoir ĂȘtre protĂ©gĂ©s, avec 10 % placĂ©s sous « protection forte ». Le dĂ©cret dâapplication concernant la « protection forte » a Ă©tĂ© rendu public en fĂ©vrier 2022. Or, la dĂ©finition de la « protection forte » laisse pour le moins Ă dĂ©sirer, sans compter que nous sommes loin des 10% : 1,6% des espaces terrestres et 0,4% des espaces maritimes.
La dĂ©finition de ces zones fortes est moins exigeante que les standards europĂ©ens et internationaux ; elle renvoie Ă la pression anthropique exercĂ©e et non aux qualitĂ©s Ă©cologiques des zones concernĂ©es, ni aux moyens de les conserver, si ce nâest de les enrichir. Les critĂšres de dĂ©marcation de ces zones ne sont pas suffisamment clairs. Aucune prĂ©cision nâa en outre Ă©tĂ© donnĂ©e quant aux moyens financiers allouĂ©s Ă la gestion de ces zones. De nombreux Ă©lus ont Ă©galement fait part de leur mĂ©contentement[15]. La dĂ©fense par le gouvernement des mĂ©gabassines nâaugure rien de bon non plus sur les tensions en matiĂšre dâeau douce vers lesquelles nous nous dirigeons irrĂ©mĂ©diablement pour la et les prochaines dĂ©cennies.
Plus gĂ©nĂ©ralement, il ne sert Ă rien de prĂ©tendre dĂ©fendre la biodiversitĂ© sans changer sa principale cause de destruction, Ă savoir lâagriculture conventionnelle. Une Ă©tude rĂ©cente a rappelĂ© la responsabilitĂ© des pesticides concernant lâeffondrement des populations dâoiseaux en Europe[16]. Le mĂȘme diagnostic vaut pour lâeffondrement des populations dâinsectes dont se nourrissent les oiseaux[17]. La France ne sâest guĂšre mobilisĂ©e pour empĂȘcher la rĂ©autorisation pour dix ans du glyphosate. De façon gĂ©nĂ©rale lâagrochimie dĂ©truit Ă©galement la faune des sols quâelle tasse au demeurant et rĂ©duit le taux de matiĂšre organique[18]. Elle contribue Ă lâempoisonnement gĂ©nĂ©ral de la santĂ© publique et Ă celui des Ă©cosystĂšmes[19]. Elle soutient un mode dâĂ©levage industriel Ă©thiquement insupportable et climaticide. Et le tout en condamnant nombre de paysans Ă la misĂšre, quand ce nâest au suicide ou Ă la mort par cancer dĂ» Ă lâexposition aux pesticides.
Lâorientation de lâactuelle colĂšre paysanne vers les seules rĂ©glementations europĂ©ennes est dâune perversion remarquable. La difficultĂ© ne tient pas, en tous cas pour lâessentiel, Ă ces contraintes en elles-mĂȘmes, mais Ă leur coexistence avec un marchĂ© global permettant dâimporter des produits concurrents Ă bas prix, non soumis aux mĂȘmes contraintes. Maintenir une rĂ©munĂ©ration correcte des agriculteurs est Ă©galement impossible dans le cadre dâun marchĂ© ouvert. Plus gĂ©nĂ©ralement, le problĂšme des paysans est avant tout une question de revenus. Tel est aussi le cas gĂ©nĂ©ral des salariĂ©s : exiger une rĂ©munĂ©ration du capital Ă hauteur de 15%, câest nĂ©cessairement rĂ©duire Ă la portion congrue la rĂ©munĂ©ration du travail.
Enfin, quâon ne nous raconte pas quâil nâexiste pas de contre-modĂšle, lâagroĂ©cologie biologique administre tous les jours la preuve du contraire ; si ce nâĂ©tait, encore une fois, la rĂ©munĂ©ration du travail, et qui plus est en pĂ©riode inflationniste. Mentionnons encore les agissements gouvernementaux quant Ă la mer et tout particuliĂšrement les mensonges sur les aires marines protĂ©gĂ©es â normalement 30 % du territoire marin français â alors que le chalutage des fonds marins nây est nullement interdit[20]. Ajoutons in fine la fragilisation du droit de lâenvironnement dĂšs les premiĂšres annĂ©es du premier quinquennat[21].
« Qui aurait pu prĂ©dire la crise climatique ? » se demandait Jupiter en janvier 2023. Effectivement pas OSS 117. Quand on ne tient pas compte des avis des conseils scientifiques que lâon a pourtant crĂ©Ă©s, quand on ne cherche mĂȘme pas Ă sâinformer convenablement, quand on prĂ©fĂšre accorder du crĂ©dit en Ă©conomiste sommaire Ă des promesses technologiques indĂ©finiment reportĂ©es, quand on pourchasse toute forme de conscience Ă©cologique Ă coups de mesures pĂ©nales, quand on gaze des scientifiques, etc., on ne peut effectivement quâĂȘtre surpris, incapable dâanticiper quoi que ce soit et dâassumer la fonction de protection de toute autoritĂ© publique digne de ce nom.
De lâabsurditĂ© dĂ©mocratique de la stratĂ©gie du « en mĂȘme temps » au triomphe du nĂ©olibĂ©ralisme
Il y a quelque temps encore, lorsquâon Ă©voquait le « en mĂȘme temps », câĂ©tait pour se pĂąmer dâadmiration devant la pensĂ©e complexe de notre gĂ©nial prĂ©sident, digne successeur en termes dâĂ©lĂ©vation de la pensĂ©e de cet autre gĂ©nie des Carpates que fut le prĂ©sident Mao. Comme nombre dâidĂ©es simples, celle-ci est inepte et dangereuse. Pourquoi ne pas reprendre en effet le meilleur des solutions de gauche et le meilleur de celles de droite ? Ăvident, non ? Le problĂšme est quâelles sont gĂ©nĂ©ralement opposĂ©es les unes aux autres, et donc contradictoires, non miscibles. Et ce pour une raison fondamentale qui tient Ă lâessence mĂȘme de la dĂ©mocratie. Celle-ci peut ĂȘtre dĂ©finie comme lâorganisation de la sociĂ©tĂ© qui fait droit Ă sa pluralitĂ© spontanĂ©e, alors que les rĂ©gimes autoritaires nâont de cesse dâuniformiser la sociĂ©tĂ© et ses expressions.
En outre, la dĂ©mocratie organise la diversitĂ© des opinions et des comportements de telle sorte quâelle nâinterdise pas lâavancĂ©e de la sociĂ©tĂ© dans son ensemble. Et pour ce faire elle organise une forme de consensus en creux autorisant une direction commune Ă lâensemble de la sociĂ©tĂ©, mais en recourant Ă des solutions opposĂ©es. De la fin du XIXe Ă celle du XXe siĂšce, les sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques se sont assignĂ©es comme fin la maximisation de la production de richesses matĂ©rielles et la redistribution de ces richesses. Elles ont organisĂ© le dĂ©bat en rassemblant les positions possibles autour de la polaritĂ© droite/gauche : on pouvait maximiser la production de la richesse en libĂ©rant lâinitiative privĂ©e ou en rationalisant la production ; on pouvait redistribuer la richesse produite de façon arithmĂ©tique et Ă©galitaire, ou gĂ©omĂ©trique et donc au prorata du mĂ©rite des uns et des autres.
Bien sĂ»r, cette structuration fondamentale des dĂ©bats politiques possibles nâa cessĂ© de sâenrichir de dĂ©bats annexes que lâon cherchait Ă rĂ©partir selon cette mĂȘme opposition droite/gauche. Il pouvait en aller de la question des relations de genres, de la libertĂ© de mĆurs, de la relation Ă la nation, des questions dâĂ©ducation, etc. Sur chacun des axes retenus, il nâest pas question dâ« en mĂȘme temps », mais simplement de dĂ©placement dâun curseur, par exemple en matiĂšre dâinĂ©galitĂ©s â de rĂ©partition de la richesse matĂ©rielle â au sein dâune sociĂ©tĂ© avec la mesure de leur intensitĂ© par lâindice de Gini.
Ăvidemment on peut ĂȘtre sur le plan des mĆurs plus ou moins libĂ©ral, de gauche, en associant Ă ce positionnement un autre, de droite, vis-Ă -vis dâun axe diffĂ©rent. La belle affaire ! Il nâen reste pas moins quâil convient dâafficher une orientation visible et cohĂ©rente des actions quâil convient dâimpulser, et de les argumenter. Le « en mĂȘme temps » sâest vite transformĂ© en « jâaffiche une orientation, et jâagis en sens contraire ». Ceci a Ă©tĂ© spectaculaire dans le domaine de lâĂ©cologie oĂč les actions nâont en rien suivi les dĂ©clarations tonitruantes sur lâorientation Ă©cologique du second mandat par exemple. Il en est allĂ© de mĂȘme en matiĂšre dâinnovation dĂ©mocratique. Les propositions de la Convention citoyenne ont Ă©tĂ© dĂ©tricotĂ©es par le gouvernement avant mĂȘme le parlement, contrairement au « sans filtre » imprudemment affichĂ©, de toute façon contradictoire avec la machinerie mĂȘme de la dĂ©cision publique.
Le « en mĂȘme temps » est mĂȘme dangereux dans les circonstances que nous traversons. Le mouvement mĂȘme du monde est en effet en train de ruiner les fondements de notre ancien consensus en creux. Et dans un tel contexte la clartĂ© est cardinale. Depuis les annĂ©es soixante monte en effet sourdement un diagnostic Ă©cologique fatal. Lâorientation des sociĂ©tĂ©s portĂ©e par le consensus dĂ©mocratique en creux est contradictoire avec le maintien de lâhabitabilitĂ© de la planĂšte. Le productivisme consumĂ©riste nous conduit Ă la violence des Ă©lĂ©ments et des hommes, puis Ă la mort. Et il serait impossible de faire dĂ©croitre notre empreinte matĂ©rielle sans une rĂ©duction drastique des Ă©carts de richesses, dâautant que le niveau de destructivitĂ© est directement corrĂ©lĂ© au niveau de richesses.
Un tel diagnostic est contradictoire avec notre actuel consensus dĂ©mocratique. Il est bien plutĂŽt appelĂ© Ă sây substituer ; dâoĂč la perception des enjeux Ă©cologiques comme radicaux, effectivement. LâĂ©cologie ne peut donc, dans un premier temps, que fragmenter la sociĂ©tĂ©. Ce que semble confirmer lâinstallation dâun dĂ©ni Ă©cologique Ă©pais sur la partie droite de lâĂ©chiquier, et des partis Ă gauche qui ne prennent pas rĂ©ellement la mesure des changements requis sur quelques dĂ©cennies.
Il est en outre dâautres enjeux qui ne se prĂȘtent pas Ă la rĂšgle du consensus dĂ©mocratique en creux. On fait ou non la guerre, mais on ne la conduit pas de droite ou de gauche ; de mĂȘme pour les alliances que sa prĂ©paration et sa conduite appellent. Ă partir dâun certain seuil, celui qui interdit de postuler un intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, rĂ©duire les inĂ©galitĂ©s nâest pas non plus une option de droite ou de gauche, mais une condition au systĂšme dĂ©mocratique. Veiller au maintien dâun systĂšme pluraliste de lâinformation, avec un commun factuel dâinformations, constitue tout autant une condition Ă lâexistence dâune dĂ©mocratie. Lutter contre lâislam fondamentaliste nâest pas non plus un enjeu de droite ou de gauche, il nây a tout simplement plus de dĂ©mocratie sous un califat et sous la charia. Certaines postures de la gauche politique sont en la matiĂšre scandaleusement ineptes.
En revanche, il nây a pas de polaritĂ© droite/gauche face Ă la prĂ©tendue menace du « grand remplacement », y adhĂ©rer conduit ipso facto à dĂ©truire les droits humains et leur universalitĂ©, et vous enfonce dans un mixte indiscernable de haine et de bĂȘtise. En revanche rien nâinterdit de dĂ©battre dĂ©mocratiquement de la question migratoire, câest mĂȘme une nĂ©cessitĂ©. Etc. Ce nâest vraiment pas dâ« en mĂȘme temps » dont nous avons besoin, mais dâun diagnostic ferme de la situation qui nous Ă©choit, et dâorientations en consĂ©quence claires et partageables.
Revenons plus directement Ă la Macronie. On cherche parfois Ă prĂ©texter du haut niveau des prĂ©lĂšvements publics en France, ce qui est juste, pour rejeter les analyses en termes de nĂ©olibĂ©ralisme. Raisonnement court. Si lâon entend par nĂ©olibĂ©ralisme le refus du surplomb de lâĂtat et la volontĂ© de ne le considĂ©rer quâĂ lâĂ©gal des agents Ă©conomiques â Ătat que le marchĂ© globalisĂ© doit contraindre comme nâimporte quel autre agent â, alors force est dây discerner le seul rĂ©fĂ©rentiel constant de lâaction publique depuis le premier quinquennat Macron.
Les gouvernements qui se sont succĂ©dĂ© nâont cessĂ© de dĂ©truire nombre dâinstruments de lâĂtat et de lâaction publique : le droit de lâenvironnement ; lâhĂŽpital public en rĂ©duisant constamment le nombre des lits dâhĂŽpitaux ; en fragilisant lâenseignement supĂ©rieur et la recherche publique, Ă quoi sâajoutent la rĂ©duction du nombre des classes prĂ©paratoires alors quâelles sont lâĂ©quivalent par exemple du systĂšme des CollĂšges aux USA ou de leur Ă©quivalent au Canada, et la suppression annoncĂ©e de lâENA au lieu de la rĂ©former ; en dĂ©truisant le corps diplomatique ; en cherchant Ă fondre lâIRSN (recherche) et lâASN (gendarme) â comme sâil revenait Ă la police de produire la loi â et donc en portant atteinte Ă la garantie de la sĂ©curitĂ© nuclĂ©aire ; le ministĂšre de la justice par appauvrissement notamment jusquâĂ une date rĂ©cente ; la police en laissant lâextrĂȘme-droite la pĂ©nĂ©trer, en encourageant une violence dĂ©bridĂ©e par une doctrine du maintien de lâordre sujette Ă caution, et en banalisant les bavures ; etc.
Quelques mots sur la rĂ©forme des retraites. Elle est apparue comme injuste pour les plus vulnĂ©rables et laissait apparaĂźtre une conception Ă©conomiciste de lâexistence. La retraite constitue en effet un moment particulier de lâexistence, de loisir absolu, dĂ©gagĂ© des contraintes du travail comme de celles de lâĂ©ducation et de lâapprentissage, le moment terminal â pour autant que la santĂ© et les revenus le permettent â, oĂč lâon peut enfin jouir de lâexistence pour elle-mĂȘme. Or, la rĂ©forme semblait animĂ©e de la conception rigoureusement contraire : le travail nâest pas le moyen dâune existence Ă©panouie, mais sa fin.
DĂšs lors, la pĂ©riode sans travail ne vaut pas pour elle-mĂȘme et peut ĂȘtre, si ce nâest doit ĂȘtre rĂ©duite. La partie la plus vulnĂ©rable de la population ne jouira en effet que de quelques annĂ©es seulement de retraite ; ce qui a scandalisĂ© la France, exceptĂ© son gouvernement et ses soutiens parlementaires. On peut discuter de cette conception, justifier de contraintes diverses, mais tel nâa pas Ă©tĂ© le cas, elle a Ă©tĂ© imposĂ©e dâen-haut, brutalement. Nouvelle rĂ©affirmation du prĂ©tendu point de vue de la raison, lequel ne souffre aucune discussionâŠ
Ce prĂ©tendu point de vue de la raison par-dessus les diffĂ©rences politiques et idĂ©ologiques, câest prĂ©cisĂ©ment ce que lâhistorien de la RĂ©volution française Pierre Serna appelle lâextrĂȘme-centre[22]. AprĂšs Thermidor, il nây avait dâautre possibilitĂ© pour beaucoup de politiciens que de renier leurs positions antĂ©rieures, de se faire girouettes et de se situer au centre, entre les Jacobins honnis aprĂšs la Terreur et les Royalistes menaçants. Sâinstaure alors une politique du centre qui, au nom de la raison au-delĂ des extrĂȘmes, au nom de la libertĂ©, promeut une politique liberticide et autoritaire, hantĂ©e par le maintien de lâordre public.
Cette politique du centre sâest encore renforcĂ©e sous le Directoire et elle dĂ©bouchera sur lâempire napolĂ©onien. Comme le montre Pierre Serna, il y a lĂ un vĂ©ritable tropisme de lâhistoire politique française, oĂč girouettes et centristes prĂ©sumĂ©s incarner par gros temps la voie de la raison et de la sagesse, ne cessent de se donner le mot : 1815, 1851, 1870, 1940 et, dans une tout autre mesure, 1958. Nous y sommes Ă nouveau, Ă lâhorizon de lâextrĂȘme-centre, derechef lâextrĂȘme-droite et sa promesse misĂ©rable et fallacieuse de salut.
Des raisons de dĂ©sespĂ©rer, maisâŠ
Reconnaissons-le, nos dĂ©mocraties sont moribondes faute des conditions qui les rendent possibles et de vigies qui aient du tempĂ©rament. Elles Ă©taient dâavance incompatibles avec lâordre nĂ©olibĂ©ral du monde qui ne pouvait que ruiner les classes moyennes et fragmenter le paysage de lâinformation. Oxfam rappelle chaque annĂ©e le degrĂ© croissant de concentration du capital mondial. Nous sommes mĂȘme entrĂ©s dans ce que Xavier Ricard Lanata appelait la « tropicalisation du monde »[23] : la soumission des peuples occidentaux au rĂ©gime qui fut autrefois celui de leurs colonies ; un Ătat oligarchique et autoritaire, des services publics au mieux paupĂ©risĂ©s, une pauvretĂ© croissante et le rĂšgne de la servitude volontaire façon populiste. LâEurope est train de rattraper son retard vis-Ă -vis des Etats-Unis trumpisĂ©s et menacĂ©s mĂȘme de guerre civile.
La mĂȘme Europe constitue dĂ©sormais un nouveau cas dâĂ©cole quant Ă la cĂ©lĂšbre thĂšse dâIbn KhaldĂ»n[24], celle concernant la menace que font peser sur les empires aux populations pacifiĂ©es leurs marges barbares. Nous sommes en effet exposĂ©s au voisinage dâune Russie sauvage, plongĂ©e par son oligarchie mafieuse dans la misĂšre tant mentale que matĂ©rielle, consacrant son maigre PIB aux armes et Ă la guerre, pendant que les canalisations de chauffage cĂšdent faute dâentretien sous une tempĂ©rature de â 30° C, etc.
LâEurope est encore menacĂ©e par une Chine aussi lumineusement dirigĂ©e â foi de Trump â que son voisin septentrional. La Chine a encouragĂ© des recherches dangereuses sur le coronavirus, plongeant Ă la suite dâune fuite dans un laboratoire P4 Ă Wuhan le pays dans deux annĂ©es de confinement total[25] ; la mĂȘme Chine, associĂ©e Ă lâIran et donc aux Houthis qui bloquent le dĂ©troit de Bab al-Mandeb, engorge de marchandises ses propres ports, avec Ă lâarriĂšre-plan une Ă©conomie atone, etc.
Dans lâHexagone, des jeunes des banlieues se shootent aux vidĂ©os dâenfants palestiniens opĂ©rĂ©s sans anesthĂ©sie ; une indignation unilatĂ©rale qui nourrit Ă son tour le cycle haine-crimes contre lâhumanitĂ©-vengeance. Un chroniqueur, Dominique ReyniĂ©, qui, bien que diplĂŽmĂ© de lâUniversitĂ©, nous raconte sur une radio nationale que la misĂšre des agriculteurs est due Ă lâamour de la Commission europĂ©enne pour les abeilles. Une gauche humaniste et universaliste qui bannit lâĂ©crivain Sylvain Tesson â certes aussi rĂ©ac que talentueux, et alors ? â, dâun festival de poĂ©sie dont tout le monde se fout, etc.
Comme le chante le diable de Jacques Brel, « ça va » ! Sâil nâĂ©tait des Arnaud Beltrame au sens de lâĂtat poussĂ© jusquâau sacrifice, des Samuel Paty sentinelle de la laĂŻcitĂ©, des Dominique Bernard, des juges comme Edouard Durand, des centaines de milliers de professeurs qui prennent soin de leurs Ă©lĂšves, des factrices qui acheminent le courrier, des soignants qui ne dĂ©sertent pas les hĂŽpitaux, ou des paysannes qui aiment leurs animaux et leurs terres, etc., je me rangerais sans rĂ©serve, Ă lâinstar de John Muir, du cĂŽtĂ© des ours, fussent-ils amateurs des jardins, dans la lutte finale entre lâespĂšce funeste que nous sommes et le reste du vivant !
Dominique Bourg
PHILOSOPHE, PROFESSEUR HONORAIRE DE LâUNIVERSITĂ DE LAUSANNE
macron est un âenlightened centristâ, des gens dâextremes droites qui se pense centre.
https://www.reddit.com/r/ENLIGHTENEDCENTRISM/comments/cw2bbh/the_left_has_become_so_extreme_ive_been_forced_to/